• Acte III Scène I : Traversée

    Une scène, vide.

    Des éclairages.

    La Fille et le Violoneux avancent,

    Guidés par les morts,

    Entre différents mondes.

     

    La Fille :

    On est où là ?

     

    Le Violoneux :

    Un peu partout.

     

    La Fille :

    (courant un peu partout) C'est joli ! [...] Tu parles pas beaucoup. J'aime bien quand tu parles moi. On va s'ennuyer si tu parles jamais.

     

    Le Violoneux :

    (souriant) Tu parles assez pour deux.

     

    La Fille :

    Je suis bavarde ? C'est que j'aime bien ça. T'aimes pas ça toi, les mots ?

     

    Le Violoneux :

    Si, beaucoup.

    Les mots sonnent comme des cloches.

    Ils résonnent partout.

     

    La Fille :

    Bah alors ! Parle moi.

     

    Le Violoneux :

    Ça fait beaucoup de bruit.

    Je préfère le silence.

     

    La Fille :

    Moi j'ai toujours envie de te raconter pleins de trucs. Y a pleins de trucs qui me passent par la tête. Si je gardes tout à l'intérieur, je sens que je vais exploser. Mais j'ai aussi envie d'écouter, j'aimerais que tu me parles de quelque chose.

     

    Le Violoneux :

    Moi ça me fait peur.

    Tous ces mots, ces jolis mots.

    Qui sortent de ta bouche.

    Et qui s'envolent...

    Qui s'envolent pour nulle part.

     

    La Fille :

    C'est un chouette pays nulle part. Moi j'aime bien parler, parler, parler. Par exemple, je pourrais t'expliquer ce qu'il y a au fond de moi. Des trucs qu'il faut peut-être que je dise mais qui peut-être ne sortirons jamais. C'est bizarre. Tout est bizarre. Dit, ça fait longtemps que t'es aveugle ?

     

    Le Violoneux :

    Depuis toujours.

     

    La Fille :

    Ouha ! T'es très fort alors. Ça te rend pas triste ?

     

    Le Violoneux :

    Il y a des avantages.

     

    La Fille :

    Comme quoi ?

     

    Le Violoneux :

    Le toucher par exemple.

    Quand je touches, je vois avec mes mains.

    Il y a la sensation sur la paume.

    La matière se dessine.

    Et je peux voir.

     

    La Fille :

    T'es comme un myope. Tu peux que voir de très prêt. Dit. Tu veux me voir ? (elle s'approche, doucement, lui prend les mains pour les mettre sur son visage) Alors ?

     

    Le Violoneux :

    Ta respiration est agitée.

    Tu trembles.

     

    La Fille :

    Je sais pas ce que j'ai. Je me sens toute folle. (un temps, repoussant doucement les mains) Tu me trouves jolie? (un temps) Répond quelque chose, s'il te plais. J'arrive pas à savoir ce que tu penses. Je sais pas lire dans les pensées moi, tu comprends ?

     

    Le Violoneux :

    Je n'ai rien à ajouter.

     

    La Fille :

    Pourquoi t'es compliqué comme ça ? C'est beaucoup plus simple tu sais. Oui, beaucoup plus simple. Dit juste ce qui se passe dans ton crâne. Tu cherches trop à faire que des jolies phrases. (un temps) Embrasse moi. (un temps) D'accord. Je dis plus rien. Plus rien du tout. Tu fonctionnes trop bizarrement. (un temps) Regarde, un village. On dirait des ruines.

     

    Le Violoneux :

    C'est mon pays.

     

    La Fille :

    Tu es né ici ? C'est pas terrible...

     

    Le Violoneux :

    D'où viens tu ?

     

    La Fille :

    De très très loin. Là-bas, il fait tout le temps jour, sauf la nuit où le ciel est très lumineux. Il n'y a jamais de nuage, jamais de vent, c'est la fierté de mon pays. Là d'où je viens, les gens sont tous fiers.  Fiers d'être des hommes, fiers d'être des femmes, fiers d'être pauvres, fiers d'être des vieux, des enfants, fiers d'être mariés, fiers de marcher pieds nus. Les gens de mon pays ils rigolent beaucoup et pleurent avec de grosses larmes, ce sont les plus grosses larmes du monde. Ils crient et hurlent quand ils sont malheureux. Et ils crient et hurlent quand ils sont heureux, mais c'est pas pareil. Là-bas, on est bien, comme partout ailleurs. Je viens d'un pays, où les gens ont des odeurs.

     

    Le Violoneux :

    Tu m'emmèneras un jour ?

     

    La Fille :

    Vraiment ? Tu veux vraiment ? Si tu veux vraiment, oui, je t'emmènerais. Mais d'abord, je dois retrouver mon père.

     

    Le Violoneux :

    Pourquoi veux tu retrouver ton père ?

     

    La Fille :

    Parce que sinon, je suis toute seule. J'aime pas ça, être toute seule. J'ai pas de frères, pas de sœurs. Et ma maman est morte. Alors j'ai beaucoup pleuré. Mais maintenant ça va mieux. Parle moi de ton pays.

     

    Le Violoneux :

    Ici, tout le monde a honte.

    Si honte, qu'on a peur de nos mémoires.

    Les habitants ont oublié leur nom.

    Oublié leurs frontières.

    Oublié leurs besoins.

    Et trop de hontes, pour s'en souvenir.

     

    La Fille :

    C'est dommage. (un temps) Ne t'éloigne pas. Reste prêt de moi.

     

    Le Violoneux :

    Je suis là.

    [...]

     On arrive.

     

    Les morts apportent la fenêtre ouverte,

    Puis le trône dans son halo de lumière.

    Des coins sombres, le Roi apparaît.

    Les morts restent à l'écart,

    Trainent sur la scène.

     

    La Fille :

    Ça sent pas très bon ici. Il fait sombre. T'as vu les murs ? (un temps) Ils sont vieux. Je suis sûr qu'ils ont pleins de choses à raconter. (le Violoneux peu à peu, s'éloigne de la lumière au fur à mesure que le Roi paraît) Je suis certaine que les murs, ils savent un trop plein de choses que nous, on saura jamais. Dis, tu sais comment ça pense un mur ? Ça doit penser bizarrement très certainement.

     

    Le Roi :

    Qui êtes vous ? Comment êtes vous entrés ? Que voulez vous ?

     

    La Fille :

    Oh bonjour ! Je vous avais pas vu. Vous allez bien ?

     

    Le Roi :

    Par où êtes-vous entrés ? Par la fenêtre ?

     

    La Fille :

    Bah oui, c'était ouvert.

     

    Le Roi :

    Gardes ! Gardes ! Où sont-ils ? Gardes ! Au secours !

     

    La Fille :

    Calmez vous !

     

    Le Roi :

    Qui est là ? Qui est avec vous ?

     

    La Fille :

    Un ami, un musicien.

     

    Le Roi :

    Il ne parle pas ?

     

    La Fille :

    Il est aveugle.

     

    Le Roi :

    Eh pourquoi ?

     

    La Fille :

    N'ayez pas peur.

     

    Le Roi :

    Je suis chez moi ! J'ai peur si je veux ! Gardes !

     

    La Fille :

    Vous tremblez.

     

    Le Roi :

    Et alors ?

     

    La Fille :

    Vous suez.

     

    Le Roi :

    Et quoi ?

     

    La Fille :

    Vous êtes malade ? Je peux vous aider ?

     

    Le Roi :

    Je n'ai pas besoin d'aide. Je n'ai besoin de personne, déguerpissez ! Et fermez cette fenêtre ! (le Violoneux s'en occupe) Que voulez vous ? Je n'ai plus rien à offrir, plus rien. Si vous êtes ici pour le complot, c'est trop tard, il est déjoué. Je suis debout. (il tousse, s'écroule de fatigue) Non... (il essaie de se relever, se touche le front, du sang y apparaît) Ce n'est rien.

     

    La Fille :

    N'ayez pas peur. (elle s'approche délicatement de lui et l'aide à se relever) Je suis à la recherche de mon père.

     

    Le Roi :

    Ton père ? Et pourquoi faire ? C'est quoi tous ces enfants qui rentrent chez moi comme dans un moulin... Qu'est ce que tu lui veux à ton père ? Le tuer ?

     

    La Fille :

    Non, bien sûr que non. Juste le rencontrer.

     

    Le Roi :

    Le rencontrer... Voyons donc ! (un temps) Montre moi tes mains (elle s'exécute) Se pourrait-il que... (il hésite) Est-ce que... Est-ce que vous savez écrire ?

     

    La Fille :

    Bien sûr, ma grand-mère m'a appris.

     

    Le Roi :

    Vraiment ? Non, attendez... A... Attendez...

     

    La Fille :

    Calmez vous ! (elle l'aide à marcher jusqu'au trône) Qu'est ce que vous êtes vieux, vous devez avoir mille ans au moins !

     

    Le Roi :

    J'ai beaucoup d'expérience.

     

    La Fille :

    Tout est vieux ici, tout est décrépit comme votre tête.

     

    Le Roi :

    Je fais des exercices sportifs de manière régulière.

     

    La Fille :

    Vous puez le vieux meuble, faut vous laver de temps en temps, c'est pas humain de trimbaler une odeur pareille.

     

    Le Roi :

    Vous ne me ressemblez pas...

     

    La Fille :

    C'est normal, je suis une jeune fille, et vous un vieux monsieur.

     

    Le Roi :

    D'où viens-tu ?

     

    La Fille :

    De très loin.

     

    Le Roi :

    (serrant son bras) Veux-tu... veux-tu devenir ma fille ?

     

    Le Violoneux :

    N'y vas pas, c'est dangereux.

     

    Le Roi :

    Ta gueule le myope ! Je ne suis pas dangereux.

     

    La Fille :

    Je fais ce que je veux.

     

    Le Roi :

    Alors ?

     

    La Fille :

    Je ne sais pas...

     

    Le Roi :

    Je suis Roi. Tu seras princesse, ma descendance, héritière du trône. Tu répandras sur le monde mes belles paroles. Et tu seras riche. Tu m'aideras, tu me cajoleras, et je vivrais encore deux mille ans ! Le jour va se lever...

     

    [...]


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