• Les Orphelins (Théâtre)

    Les Orphelins est une pièce de théâtre écrite et mise en scène en 2014 par Julien Usseglio avec la compagnie Je Pars à Zart, avec François Di Carlo, Louise Boullenois, Annette Roux, et Arnaud Jabouin. Elle a été crée à Montpellier au Théâtre Pierre Tabard dans le cadre d'une résidence, puis a été joué à l'Outil Théâtre. 

    Je propose ici quelques extraits de la pièce. Pour plus d'informations, n'hésitez pas à prendre contact. 

     

    Personnages :

     

    Le Roi Déchu : sans sceptre et sans couronne.

    La Marchande : d'armes et de chair

    La Fille : de l'autre pays

    Le Violoneux : un bandeau sur les yeux

    Les Morts : tous semblables et différents

     

     Voici un monde étrange où la magie nous contemple.

     La pièce vacille entre moment de vie, et moment de mort.

    Entre instant concret, présent, mouvant, et instant vide, infini, absolu.

    Entre le monde de l'ordinaire, et celui de l'invisible présent en chacun.

     Il faut y voir deux mondes, deux langages qui se côtoient et se répondent, qui se révèlent l'un et l'autre dans l'un et l'autre.

  • Une scène, vide.

    Au centre, un trône,

    Dans un halo de lumière.

    A jardin, une fenêtre ouverte.

    Le vent y souffle ; froid.

    Le Roi dort, ronfle paisiblement,

    Gémit de plaisir dans un souvenir charnel.

    Ses étoffes ondulent dans les mouvements aériens.

    Ses cheveux gris recouvrent son visage.

    Ses habits ont gardé leur richesse, mais ont perdu leur éclat.

    Son sommeil se fait de plus en plus agité.

    Ce sont des mains qui viennent le pincer, le griffer ;

    Ses membres se débattent pour se débarrasser d'un invisible.

    Tout son corps se dresse, se secoue dans un nuage de poussière antique.

    Comme au sortir d'un cauchemar, il hurle soudainement.

     

    Le Roi :

    Ma couronne! Où est ma couronne? Qui êtes vous? Vous n'avez rien à faire ici, déguerpissez! Paix, paix, lâchez moi! Ma Reine. Ma fille. (il regarde autour de lui, agité) Valets. Valets! (il se tourne à cour) Bouffon, où sont mes valets? (il se tourne à jardin) Valets, où est mon bouffon? Non, je n'ai rien fait, ce n'est pas moi. Au secours! Je refuse d'... (une puissante rafale de vent l'interromps soudainement. Un temps, où tout son corps auparavant tendu se décrispe, s'affaisse, toute sa vieillesse ressurgis ; plus calme, il se masse le crâne pour se remettre les idées en place) Quel rêve... (un temps) Je suis retombé dans le sommeil, encore, on en a profité pour me ronger, encore. Valets! J'avais ordonné qu'on m'interdise de dormir. Vous êtes tous des incapables, je ne sais si vous saisissez la chance qui est la votre d'être toujours en vie. Un tyran vous aurait massacré. Mes ordres doivent être respectés! (le vent reprend la phrase en écho, la répétant dans les airs, sans sens. Un frisson de terreur, l'espace d'un instant, parcourt l'échine du roi avant de s'en aller comme si, rien ne s'était passé) Où suis-je? Qu'est ceci? Et ceux-là? Ce n'est pas chez moi. Que font toutes ces fissures serpentant mes murs? Quelle tristesse. Peut-être, oui, peut-être suis-je toujours endormis. Silence. J'entends l'appel, la réalité tremblante derrière cette paroi d'eaux et de chairs, je rêve toujours. Silence! D'où me vient cette clameur lointaine? ses murmures ennuyées ; la foule qui se cache, prête à massacrer, à me massacrer, encore, moi! Gardes! A moi la garde! Ma Reine, où est ma Reine? Où est ma fille? (le silence lui répond) Disparues... Toutes... Absentes. Réveils toi donc! (il se pince) Aïe. (il baragouine quelques mots avant de s'étirer, il parle fort pour se réveiller complètement) Voyons. Cessons ces enfantillages, revenons au sérieux du travail, crucial. (il se consulte intérieurement) Que pourrais-je faire? Que désir mon peuple? Et moi, de quoi ai-je envie? Ai-je envie de plaisir? De nostalgie certainement pas. De manger peut-être? Je sais, je pourrais aller chasser. Il y a toujours des choses à chasser. C'est donc une belle matinée qui s'annonce. Est-ce seulement le matin? (fort) Quelle heure est-il? (un temps) J'espère ne pas être en retard, ce serait désastreux si j'étais en retard ; vous imaginez? Un homme de ma condition, en retard. Ce serait terrible. Le monde serait alors tout à fait fini. Trop, trop de choses à faire. Tout un destin qui m'attend, et ça... Par la naissance, la vie coulant dans mes veines, offerte par Dieu ; il est de mon devoir de tenir les rênes du monde, broyer le pêché dans ma paume, guider les Humains vers l'illumination! Pour le bien de tous. Je suis venu au monde, il me faut pousser le monde à venir à moi. (un temps où sur son visage passe une pensée) Scribe! As-tu noté cette dernière phrase? Note-la. Ce n'est pas tous les matins que la langue est aussi belle, profitons-en. Un jour tu verras, on me citera. En marchant dans la rue, les gueux s'exclameront devant une pensée : « Comme le disais notre bon roi... », et se délectant de mes mots, l'humanité avancera dans le droit chemin. Comprends tu l'importance de ta mission? Mal j'imagine, tu n'as pas l'éducation. Je veux être dans les livres. Les beaux contes mais surtout ceux, moins esthétique mais tout aussi important, les livres d'histoire, avec un grand H, la grande. Celle de l'Humanité, il faut que j'y figure. Note, j'ai dit, note. Il ne faut pas que ça s'échappe. (un temps, ses yeux se perdent dans le vide) Tout va aller pour le mieux. Le vent est un peu frais oui, mais quoi? C'est la saison qui veut ça. Le froid fortifie les muscles et l'esprit. (il frissonne, un temps, il se lève péniblement de son trône en enveloppant son corps frileux dans ses habits, s'approche de la fenêtre, hésite, il y jette à peine un coup d'œil avant de la fermer violemment. Le vent est étouffé. Un temps. Il retourne s'assoir, ses gestes sont plus assurés, moins fatigués, mais un nouveau poids sur les épaules, quelque chose qu'il n'aurait pas dû faire, une impossibilité de faire marche arrière. Puis, avec force) La troupe de théâtre est-elle arrivée? (un temps) C'est dommage, j'avais envie de... Peu importe. (un temps, soudainement) J'ai un nouvel ordre à faire parvenir à tous, (il dicte) à partir de maintenant, toutes les fenêtres doivent rester fermées, de jour, comme de nuit. Quiconque ne respectera pas cela sera condamné à... (il cherche) à la lapidation. Oui. (un temps) C'est l'heure des exercices! (il se relève, s'étire, puis commence une rapide série d'exercice physique) Rien de mieux qu'une bonne santé physique pour une réflexion adroite. (il continu, fier de lui, puis commence à tousser, à trembler, il en tombe presque au sol, s'arrête) Cela suffit. (il cherche à reprendre son souffle) Valets, apportez moi un verre d'eau! (un temps) Ah... (il sort à cour et revient avec une coupe d'eau. Tel un enfant devant une friandise, il prend le temps de s'assoir convenablement sur son trône pour déguster son eau avec le plus de confort possible) Merci. A la santé du royaume. (il boit cul-sec) Une belle invention. Rien de mieux qu'un bon verre d'eau. (il se met à avoir le hoquet) Toute la vie vient de là. Nous sommes nés du liquide, il coule en nous. L'eau nous compose, et nous la composons. Boire de l'eau, c'est boire une partie de nous-même. C'est presque, quelque part, un acte de cannibalisme... (il regard sa coupe, son hoquet se fait de plus en plus violent) C'est un complot. On veux me faire passer pour un cannibale. (il se lève, jette sa coupe sur le sol) Bande de lâche! Montrez vous, sortez des ombres! Je sais que vous êtes là, prêt à me tendre des pièges. Vous voulez me montrer sous un mauvais jour, faire de moi un monstre, un tyran sanguinaire. Valets! Comment avez vous pu? Coupez-vous la tête! (il ressent soudainement une forte douleur au cœur, se laisse choir sur son fauteuil, respire calmement, son hoquet se calme) Je ne veux pas d'un peuple de cannibale se mettant à boire de l'eau n'importe où, n'importe comment. A partir de ce jour, il est interdit de boire de l'eau. C'est fait. (il se calme, parvient à faire passer son hoquet) Quel travail, une vigilance sans bavure, à toute épreuve, et le monde sera sauvé. (doucement ses paupières se ferment) Trop, trop de choses à faire... (un temps, petit sursaut) Non, ne pas dormir. Bouffon, fait moi rire! (son regard se perd dans le vide, il laisse échapper des petits rires de temps à autres, de plus en plus faibles, de plus en plus fatigués, endormis, jusqu'à ce qu'il finisse par ronfler. C'est alors que soudainement, une rafale de vent ouvre la fenêtre, s'engouffre dans la salle avec violence. Il se réveille en cauchemar, envahi par la peur, affolé, il tombe de son trône, semble lutter contre le vent et l'invisible) Qui est là? Que me voulez vous? Je n'ai rien fait, c'est une erreur. Laissez moi en paix. Sortez d'ici! Ma Reine? Où est ma Reine? Partie? Et ma fille? Où est ma fille? Ils sont des centaines, des milliers, devant mes portes. Malfaisants! Diffamation! Au secours! (il s'enfuit en courant) Gardes! A moi la garde! A l'aide! A l'aide! (il sort de scène à cour) Ma couronne! Où est ma couronne?

     

    Le vent hurle.

    Les lumières, peu à peu, baissent.

    Passe une armée d'ombres qui emporte le trône et la fenêtre.

    Dans les airs monte une musique,

    Un morceau de vieux violon qui apaise le vent.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique