•        Circé tend la coupe d'or à Télémaque qui, regardant la mer, repense à son père. Au front plissé de son amant, la sorcière devine ses souvenirs. Elle passe ses longs doigts fins sur sa joue, baise délicatement sa bouche parfumée, puis attire ses yeux vers les siens.

    Ils sont assis au bord d'une falaise, dans le jaune pâle du soleil levant. Sous eux, les vagues éclatent, éclaboussent de perles écumantes les roches noires. Les mouettes hurlent, tournoient en masse sous un ciel déchiré de nuages. Télémaque ne les entend pas. Il est devant la sorcière, comme absent avec son regard vide. Elle déploie pourtant ses charmes ; ses cheveux roux ondulent délicatement sur ses épaules blanches ; l'éclat de ses joues roses ; ses yeux orange, hypnotiques, jettent des vagues de plaisir chaud. Sans un regard pour ces attraits, Télémaque soupire d'un souffle lourd.

    - Quelle est cette nostalgie qui assiège tes traits ? Demande-t-elle.

    - Circé... Je...

    Il tremble. Dans ses yeux, les larmes scintillent.

    - N'es-tu pas satisfait de mon présent ? L'immortalité ne te suffit pas ? Est-ce la foudre même de Zeus qu'il me faut voler ? Bois donc, Télémaque, la puissance commence par une simple gorgée.

    D'un revers de la main, il repousse la coupe d'or.

    - Ne joue pas avec moi, dit-elle sèchement. Confie-toi à celle qui t'aime et ne demeure pas ainsi, enfermé dans ton chaos intérieur. Tu n'y trouveras que peines et doutes. Est-ce le souvenir d'Ulysse qui chagrine mon amant dès le lever du jour ? As-tu peur de trop marcher sur ses traces, quand, venant dans mon lit, tu te confonds avec lui dans mes bras ?

    - Je pense à mon père, oui. Mais je n'ai pas peur de ses traces puisque je porte son sang. Sais-tu, sur la fin de sa vie, Ulysse voulait mourir. Je me souviens de lui, assis à deux pas de moi, sur la plage d'Ithaque. Nous regardions l'horizon en discutant des temps à venir. Le lendemain, Télégonos, ton fils, devait le tuer. L'oracle avait prédit que sa mort viendra de la mer, mais interprétant mal ces paroles, Ulysse nageait, toujours plus loin, toujours plus vite, dans les bras de l'océan, comme à la recherche des courants du Styx.

    Les mèches rouges de Circé flottent dans le vent, glissent sur le torse de Télémaque. Elle oblige son amant à se rapprocher d'elle, enfonce ses ongles vernis sur son crâne doux. Il pose sa tête contre ses seins. Caressant délicatement ses sombres cheveux bouclés, elle lui susurre à l'oreille :

    - Personne ne veut mourir.

    Elle soulève le nectar enchanté, liquide épais parfumé d'ambroisie. Les effluves charment les mouettes qui s'approchent en tournoyant.

    - N'aie pas peur de te hisser au-dessus des autres hommes. Écoute le vent qui souffle, ne te dit-il pas de boire ? Et la mer ? Ne t'appelle-t-elle pas à la vie ? Et le soleil, venant poindre sur les flots, ne te dit-il pas : Télémaque, la nuit est pleine de ténèbres, avance vers l'or et la lumière.

    Elle lui tend, mais de nouveau Télémaque repousse la coupe.

    Circé se dresse. Un instant, la colère passe dans ses yeux rouges. Elle lève une main pour châtier cet amant qui se refuse à son vouloir. Télémaque, dos à elle, reste plongé dans la contemplation de la mer écumante. Il ne voit pas les griffes que la sorcière s'apprête à plonger dans son cou. Elle s'avance, il rayonne. Alors l'amour qu'il inspire pose un voile de miel dans le cœur de Circé. Elle se jette dans ses bras. Les larmes coulent sur ses joues sans âges.

    - Télémaque, ton père est venu, il m'a charmé pour mieux repartir vers les siens. Toi, tu n'as plus personne. Pourquoi ne veux-tu pas rester avec moi ? Je te ferais goûter à une vie digne du héros que tu es.

    - Je ne suis pas un héros, soupire-t-il, Ulysse en était un. Les temps ont changé, mon père m'avait prévenu. Tu veux régner et demeurer. Mais sur quoi veux-tu asseoir ton immortalité ? Ton île est perdue au milieu de nul part et ce monde n'est qu'un pâle reflet de ce qu'il était. As-tu donc si peur de la mort ? L'amour que j'ai pour toi est sincère, mais l'immortalité... L'immortalité me paraît fausse, inexistante. Elle est là, à portée, dans cette coupe, et pourtant, il me semble qu'elle n'est rien. Circé, tu dis vrai quand tu parles de mon chaos intérieur. Moi-même, je ne parviens pas à sonder l'exactitude de mes pensées. Le fantôme Ulysse rôde dans mes réflexions. Laisse-moi te compter le dernier jour de mon père afin que tu me comprennes mieux, et que moi-même, t'exprimant ce que j'ai sur le cœur, je puisse mieux me comprendre.

    « Je me souviens de l'embrun sur mon visage. Il faisait chaud et les gouttelettes marines se cristallisaient agréablement sur ma sueur. Une main en visière, l'autre autour de la proue, j'observais Ulysse qui nageait. Pénélope, inquiète, m'avait demandé de le suivre avec un voilier pour le secourir si jamais il venait à se noyer. Jamais mon père n'a eu besoin de mon aide. Il était très bon nageur et l'est resté toute sa vie. Il pouvait braver les tempêtes, et les vagues, mêmes hautes comme des collines, n'auraient pu l'ensevelir sous leurs flots.

    « Ce dernier soir, l'océan faisait caprice. Je devais avoir le pressentiment du lendemain car un poids me serrait la poitrine et refusait de la lâcher. L'ombre de mon corps penché se reflétait sur la surface des eaux. L'océan frappait la coque qui montait et descendait au rythme des vagues. J'ai regardé longtemps cette ligne du bout du monde, qui jamais ne s'éloigne ni ne s'approche, et je devais penser à la solitude de la mer. Je devais penser à toutes ces années d'errance que mon père a endurées. Il est si difficile de voguer, loin de chez soi, au milieu du bleu de la mer. Et pourtant, déjà, je désirais partir, me laisser guider par les vents du voyage, découvrir de nouveaux pays. Avec ce goût de sel dans la bouche, le navigateur n'a pas besoin de pleurer pour exprimer la grande tristesse de la liberté qui le condamne.

    « Pensant à cela, j'ai voulu rejoindre mon père qui bravait seul la nature. Je me suis déshabillé et j'ai plongé dans l'eau. L'écume m'a aussitôt saisi de sa force. Je me suis retrouvé dans les profondeurs. Le silence, là-dessous, est semblable au sommeil. Remonté à l'air libre, j'ai retrouvé Ulysse. Le soleil tombait rouge et les flots scintillaient comme si des flammes en brûlaient la surface. Nous étions déjà à plusieurs kilomètres de l'île. Ithaque est magnifique dans la lumière du crépuscule. De là où nous étions, nous pouvions voir ses beaux contours, ses plaines verdoyantes zébrées de chemins de terre. Les cités nous paraissaient minuscules et les hommes invisibles. Sur le voilier éloigné, l'équipage nous faisait signe. Mon père me proposa de nager jusqu'au rivage. Il avait plus de deux fois mon âge et j'aurais dû le vaincre dans la force de ma jeunesse, mais à ma grande honte, il est parvenu bien avant moi et était même déjà sec quand je suis arrivé sur la plage.

    « Mon père appartenait à une autre race. J'ai essayé d'en parler avec lui, mais d'une nature humble, il refusait d'avouer le fossé qui nous séparait. Avec sa barbe pleine d'écume, il riait en me frappant dans le dos. Il était des héros, je ne suis qu'un homme. Sa génération a bâti un monde dans lequel, il me semble parfois, nous n'avons plus rien à faire. Il était un temps où les monstres rôdaient dans les terres sauvages, où les forêts étaient peuplées de Nymphes, de Centaures et de Satyres. Aujourd'hui, l'Hydre de Lerne est tué, la Chimère enterrée, le Sphinx est résolu et le Minotaure vaincu. Que nous reste-t-il à faire, sinon bâtir des cités toujours plus grandes, toujours plus hautes ? Observer notre voisin, convoiter ses biens, nous massacrer les uns les autres pour obtenir davantage ? Où sont donc les dieux ? Trop occupés à jouir de leur immortalité dans l'Olympe, ils ne s'intéressent plus au cheminement de l'humanité. Les hommes les ont lassés. Je les prie chaque jour, mais ils ne répondent plus. Le ciel est vide de conseils. La guerre de Troie devait être leur dernier combat. À présent, ils sommeillent.

    « J'ai beaucoup voyagé. Je n'ai jamais vu de Centaures. Je n'ai jamais vu de Dryades. Je n'ai jamais vu de Sirènes.

    « Mon père m'a pris par le bras, nous nous sommes dirigés vers le palais où Pénélope attendait. Nous nous sommes vêtus et nous avons rejoint la grande salle pour prendre le dîner. C'était un temps étrange, un temps de paix. Le palais était vide et silencieux. Tout allait bien dans les îles, personne ne manquait de rien. Ulysse gouvernait avec sagesse et justice.

    « Dans la salle à manger, le moindre petit bruit ricochait contre les murs, comme si Écho était conviée à notre table. Nous avons mangé du poisson aux épices. Ce plat exquis qui faisait la joie de tous, nous l'avons consommé avec une grimace fatiguée. Personne ne parlait, on n'entendait que la mastication des aliments, le choc des couverts et le pas des serviteurs sur le sol en marbre. Depuis ma chaise, je ressentais le mouvement de la mer à travers mon corps. Ma tête tanguait légèrement au rythme d'invisibles vagues et, fermant les yeux, je pouvais réécouter la mélopée. Ma mère était assise, comme toujours, en face de son époux. Elle avait attaché ses cheveux en chignon ce qui sévissait son regard. C'était une belle femme encore, l'âge n'avait fait qu'embellir ses traits. Seulement, l'anxiété ne la quittait pas. L'incessante inquiétude de voir Ulysse partir figeait son regard comme une statue ancienne. Ce soir-là, elle lui a dit, soudainement, qu'elle ne voulait plus le voir nager. Il n'a rien répondu. Je le revois, comme si c'était hier, se verser une large coupe de vin et rire doucement. Elle a crié. Toute sa douleur est tombée devant elle, en torrents, sans qu'elle ne puisse rien retenir. Elle qui portait royalement les règles de bienséance, elle qui s'était sans cesse tenue droite et fière dans sa tristesse, a soudain lâché en paquet les pleurs qu'elle avait trop longtemps gardés. « Par Zeus, hurla-t-elle, qu'as-tu donc fais de ta mètis ? Est-ce l'âge qui t'a rendu aussi égoïste ? La mer est dangereuse. Pourquoi vas-tu ainsi au-devant de la mort ? Tu te fais vieux, Ithaque a besoin de son roi, et moi de mon mari. Reste au calme, veille sur ton royaume plutôt que de faire l'enfant. Tu ne peux donc pas te mettre un peu à ma place ? Après tout ce que j'ai enduré, comment peux-tu m'imposer une angoisse pareille ? Comprends-moi, je t'en prie, ne retourne pas braver ainsi la colère des dieux ! » Mon père est resté très calme. J'ai pu voir dans ses yeux tout l'amour qu'il avait pour ma mère. Il lui a pris la main et lui a promis qu'il irait, demain, nager pour la dernière fois. C'était comme de l'entendre dire qu'il allait arrêter de respirer. Lui-même ne put faire cette promesse sans que sa gorge ne se noue.

    « Pour égayer cette fin de repas, Pénélope fit venir un Aède pour chanter. Quoi que très talentueux, le bougre fut maladroit. Il vanta l'épopée de Troie et les combats passés. Puis il nous joua une belle mélodie épique sur la mort du dernier Cyclope. La cithare s'élevait dans la nuit comme un rêve lointain, une illusion qui s'évapore.

    « Ulysse n'a pas supporté. Il s'est levé soudainement et a quitté la salle en courant, sans prendre la peine de se cacher les yeux. Il a quitté le palais. Je l'ai suivi. Sur la rive, nous nous sommes assis. Nous avons longtemps observé les vagues qui venaient mourir sur la plage. Le ciel, si haut, était dégagé de nuages. La voie lactée traçait sa route. Les constellations, avec leurs mythes passés, excitaient notre mémoire. Sous la lumière pourpre de la lune, les rides d'Ulysse paraissaient d'autant plus marquées. J'ai vu alors à quel point mon père avait vieilli. À force de le voir constamment, je ne m'étais pas rendu compte, mais ce soir-là, je me souviens très bien l'avoir observé comme si c'était la première fois, sans savoir que ce serait la dernière. Si son corps était robuste, tout en muscle, son visage avait été grignoté par les saisons. Des cernes noirs marquaient le dessous de ses yeux humides, légèrement rouges. Il avait la barbe et les cheveux blancs, les joues maigres, le cou griffé de cicatrices anciennes. Une croûte marronâtre trônait sur son front et ses lèvres asséchées par le sel et le vent mâchaient en silence sa nostalgie. Sa peau bronzée s'était amollie, elle tombait au niveau de son cou, elle se plissait sur ses tempes et au bas de ses joues comme une étoffe précieuse, fragile comme un parchemin ancien aux écritures effacées. Ses mains recouvertes de bouts de plage étaient celles d'un vieillard.

    « - Télémaque, m'a-t-il dit, entends-tu ?

    « - Quoi donc ?

    « - Je suis seul à les entendre.

    « Il fronça les sourcils, et le visage humide, il me dit : « Je suis seul à les avoir écouté et à ne pas être mort. Depuis, chaque fois que je regarde la mer, je ne peux m'empêcher de penser à elles. »

    « - Je ne comprends pas de quoi tu parles.

    « - Quand je me tourne vers l'océan, je reconnais leurs voix dans le chant de l'écume. Ce sont deux notes longues et aiguës, terriblement envoûtantes. Elles se poursuivent en boucle, comme une respiration. Alors, je ne peux m'empêcher de courir au-devant de la mort et de la mer. Je parle des sirènes. Elles sont restées là, dans mon crâne, avec leur mélodie maudite. J'ai été trop curieux. J'aurais mieux fait de me boucher les oreilles avec de la cire comme le reste de l'équipage. Tu me crois fou ? Je sais pourtant ce que j'ai vu... J'ai passé plus de temps à me battre qu'à gouverner, plus de temps à naviguer qu'à profiter de mes possessions. Maintenant que je suis chez moi, l'ennuie me monte à la gorge. Ma vraie patrie, c'est le voyage. Je suis incapable de jouir de ce que j'ai accompli, je veux accomplir encore, repartir. Incessante nostalgie du temps passé. Et pourtant ! Qui mieux que moi sait qu'il n'y a rien à attendre de l'errance ! Les sirènes, toujours, chantent la mort, la fin des souffrances, véritable repos de l'homme. C'est une chimère ! La mort n'a rien d'un repos, elle n'est qu'un autre voyage qu'il nous faut accomplir sous une autre forme. Crois-moi, Télémaque, nous sommes vouées à nous battre et à poursuivre sans cesse le chant des sirènes. Comme un horizon inatteignable.

    « Le soleil est apparu au loin. Il a léché le paysage avec sa langue de feu. Mon père s'est levé. Il a retiré ses habits et a couru vers l'océan. Je l'ai observé s'éloigner. Et déjà, dans cette aube brûlante, j'ai remarqué au loin une voile inconnue. C'était celle de ton fils, Télégonos, qui tua mon père et épousa ma mère. Je n'en savais rien encore. Ne m'en inquiétant pas, je suis retourné au palais où je me suis endormi.

    « J'ai rêvé de son voyage. Ulysse naviguait avec un équipage joyeux bien que tout en squelettes. Son front était courroucé par quelques chagrins mais ses lèvres souriaient. Il s'enfonçait dans les ténèbres, sur les eaux du fleuve noir, et chantait quelques mélodies oubliées entre des gerbes de fleurs fanées. Il naviguait vers l'inconnu, non sans trembler, mais ébahis par l'esthétique de l'autre monde, heureux d'avoir une nouvelle épreuve à laquelle confronter son courage.

    « À mon réveil, Ulysse était mort.

    Télémaque se tait.

    Dans ses bras, Circé tremble.

    Blotti contre la chair de la sorcière, il ferme les yeux. Les rayons teintent ses cheveux de lumières. L'air court sur son visage tandis que l'océan respire autour d'eux.

    - Je ne veux pas mourir, soupire-t-il, mais je ne veux pas être immortel. Être immortel, c'est être déjà mort. Car plus rien ne bouge dans l'immortalité. Tout est un seul âge, sans vieillesse ni jeunesse. Sans mouvement, il n'y a pas de vie. Je veux vivre comme mon père, naviguer, bâtir et mourir.

    Circé passe ses mains sur le cou de son amant. La fureur crispe son visage. Elle siffle entre ses dents.

    - Es-tu sûr ? Tu ne veux pas boire ?

    - Non.

    La coupe tombe et se renverse, le liquide jaune et épais s'écoule dans la mer. D'un coup sec, elle resserre son étreinte, bloque le corps de Télémaque entre ses jambes. Ses cheveux en lianes retiennent son torse tandis que de ses ongles, elle griffe son cou et l'étrangle.

    - J'ai laissé partir le père, je ne perdrais pas le fils. Maudit sois-tu Télémaque, on ne délaisse pas impunément Circé ! Tu veux voguer ? Tu vogueras dans l'éternité ! Voilà l'Hadès que tu recherches tant.

    Le visage de Télémaque tourne au rouge. Ses veines gonflent, ses yeux pleurent. Une bave blanche écume sur ses lèvres. Il bat des jambes. Sa main droite foule le sol, trouve une pierre. D'un geste brusque, il écrase la roche sur le crâne de Circé qui bascule. En un mouvement, il est debout. Il tire son épée et transperce la poitrine de la sorcière qui, dans un ultime hurlement, rend la vie.

    Les mouettes se sont enfuies. Il n'y a plus que l'incessante mélodie des vagues luttant contre la roche. Télémaque observe le sang jaillir à gros bouillon de la blessure. Le rouge coule, ruisselle sur les roches noires. Du revers de son bras, il efface la sueur de son front.

    Il s'éloigne, marche comme un somnambule dans l'île déserte. Il veut rejoindre son bateau, retourner au plus vite dans la fougue de la mer. Mais pour aller où ? Ses jambes le lâchent, il tombe à genoux dans les herbes sèches. Levant la tête, il prie le ciel vide.

    Le vent, passant dans les cavités de l'île, siffle doucement. Ce sont deux notes, longues et aigües, terriblement envoûtantes. Déjà, Télémaque regrette son meurtre. Les derniers baisers de Circé brûlent sa peau. Sans larme, il demeure un long moment ainsi, les yeux braqués sur les nuages qui passent doucement.

    Il ira, sur les flots, dans le monde, avec un regard triste et un sourire amer. Il cherchera les monstres qui ne sont plus, les aventures passées, le feu volé de Prométhée. Il ne trouvera que la lutte des hommes contre les hommes. Face au ciel, au doux silence de l'océan, il sent la magie qui s'évapore au fil du temps. Sûrement pour le mieux car elle emporte avec elle les monstres que les armes et la vaillance des héros ont vaincus. Tout comme son père, il n'acceptera jamais de n'être qu'un chien docile qui reste sagement chez lui. Mais s'il n'y a plus de monstres à combattre, de territoire à explorer, que devra faire l'homme ardent d'aventure ? Lui-même, comment fera-t-il pour assouvir sa soif en se rendant utile ?

    Les sirènes, comme le vent, comme la mer, chantent un mouvement, le cycle d'une utopie passée qui ne demande qu'à rejaillir. La nostalgie des temps anciens guidera son idéal.

    Télémaque reprend courage. Il se lève et rejoint son navire, dresse la voile, quitte l'île pour voguer vers l'horizon, inatteignable.


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