• Je ne sais plus où aller, mon enfance m’a trompé. J’ai cru, j’ai cru, il est temps d’accepter. Nous n’aurons pas la liberté. Encore du temps devra passer avant que l’on puisse vivre dans son propre sillon. Il y a eu des rêves. Des hommes sont morts pour eux. D’autres y perdront la santé.

    Sur la plage, les vagues grondent. Elles éclatent comme des coups de tonnerre. La grande flaque scintille mais ne reflète des étoiles que leur obscurité. C’est le grand chaos, le grand silence des astres. Il va me falloir puiser la force. Chercher l’ordre dans la multitude. Organiser mes larves. La bonté ne suffit pas. Quand les heures sonnent creuses, le sourire se crispe, et l’être doute de son utilité. Les efforts passés se sont ternis, le résultat continu de se faire attendre. C’est trop long, il ne reviendra pas. Je reste sur la plage à me frotter les pouces en me demandant où sont les fruits que je croyais avoir semé. N’ai-je donc fait que rêver ? Le dessein s’est éloigné sur l’horizon comme un pêcheur dans sa barque. Le vent était calme, et pourtant. On ne peut préméditer le cœur de l’océan. Je n’ai pas assez tendu mes filets. J’aurai dû écouter les mises en garde. Ne pas faire tant confiance en mon unicité. Je suis parti pourtant prudent, j’ai lancé mes lignes dans les vagues en fermant les yeux, dans la confiance du grand tout. Trop de faiblesse, trop de peur de me heurter. J’ouvre les yeux, mes pieds sont toujours sur la berge.

    Beaucoup d’hommes marchent sur cette terre. Ils sont nombreux à être plus durs et plus courageux que moi. Plus aptes à affronter les marées, à saisir les lèvres des dunes. Je ne sais que contempler. Marcher sans faire de mal, une belle destinée. Mais ne pas faire le mal n’est pas faire le bien. Trop paresseux pour forcer la marche, je maudis les défauts qu’il me faut surpasser. Les cieux se troublent chaque jour un peu plus. L’ordre se défait. J’ai vu le chat se cacher dans les fissures du môle. On ne tue plus qu’à distance. L’ennemi s’extasie dans ses palais somptueux. Il crache dans la soupe qui le nourrit. Peu lui importe, il a son miroir d’argent pour contempler sa raison. Il s’observe sans jugement, sans mépris, lucide dans ses pensées. Il a le pouvoir. Certain de son être, de ses paumes musclées aux doigts refermés. Tandis que moi, perdu dans un temps sans sommeil, je mâche, renâcle, gratte les esquisses de ma vie rêvée. Réveils-toi !

    Plus personne ne m’écoute, la radio s’est éteinte. J’avais pourtant des plumes sous les doigts, des oreillers moelleux dans le crâne sur lesquels me reposer. Il fallait bien, un jour, prendre conscience que les choses ne s’arrêteront pas là. J’ai trop attendu le changement, trop cru à la bonne étoile, aux anges et aux miracles. Je demeure sur le seuil de mon âme, sans oser pénétrer de peur d’y découvrir le monstre homme, responsable de l’état des choses, créateur de ses malheurs. C’est assez de gratter les plaies. Je suis tombé au fond d’un gouffre dépressif qui ne mène à rien. Allons, relève-toi. Il reste des années. Ce n’est la faute de personne. Ouvre les yeux, contemple. Tu n’es pas si moche. Ta faiblesse n’est pas un pilier sur lequel tu peux t’appuyer indéfiniment en demandant protection. Ton intelligence n’est pas un laurier de César. Tu t’es trompé dans tes lacets, voilà tout. Tu apprendras encore. Peut-être n’es-tu pas ce que tu croyais, certainement pas ce que tu voulais être. Ce n’est pas si grave. S’il reste des paysages à découvrir dans les plis de tes draps, concentre toi sur ceux qui apparaissent dans les rides de tes amis.

     


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