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    Attention, attention ! Sirène d'alarme, mouvement de foule, ils sont là, pénètrent les portes automatiques. Ils entrent, clac-clic, se glissent dans la fonction publique, s’enlisent dans les manufactures, s'insinuent à la poste et aux réceptions des hôtels, bordels, écartent les jambes et servent aux bars, accueil clientèle. Ils remplacent, poussent de leurs bras mécaniques les chairs trop fragiles, les cervelles peu rapides, les os peu costauds de nos corps pantins. Depuis les bureaux du haut à ceux du bas, les machines bruissent, frappent claviers et métaux dans un concert assourdissant. Clangue, clangue. Dans cent ans dites-vous ? Dans dix ? Cinq ? Non, monsieur, madame, ouvrez les yeux, le marché a changé ! Demain ? Aujourd'hui, 5, 4, 3, 2, 1, maintenant ! l'industrie 4.0 est poussée en fortunes colossales. L'entreprise évolue, mute. Les patrons annoncent la bonne nouvelle, tutu et turlutte, réjouissez-vous ! Les boulots harassants sont voués à disparaître. On ne calcule plus, on ne sent plus, on ne gère plus, on ne visse plus, on ne perce plus. Elles feront ça pour nous. Adieu employé ! Adieu travail à la chaîne, adieu transporteur, caissiers, balayeurs. Adieu pauvres travailleurs, mal au dos, mal aux hanches, mal à la tête devant la paperasse à trier. Adieu bibliothécaire, infirmière fatiguée, adieu postier, adieu coiffeur, tes ciseaux font trop d'erreurs. Adieu conducteur, livreur, bâtisseur. Bonjour demain.

     

    Ô grande foule, ô peuple à la rue, jeté hors des activités de l'usine. Ô chômeur, demain sera ton jour de gloire. Nouvelle majorité d'indécis aux yeux écarquillés devant les écrans télés, tout juste bon à se faire masser les pieds en dévorant des chickens carne. Les industries grimpent, géants monstrueux mondialisés, pendant que les rejetés se réunissent les politiques n'évoluant pas assez vite. Blablabla. Plus vite que le social, les firmes visent le grand pognon pour coffres winners. Voyez les files d'hommes manchots, zéros, abusés, mains dans les poches et fesses serrés, qui ne sachant que faire continuent d'aller à quatre heure pointer. Faim au ventre. Pas de travail, pas d'argent. Crier, hurler, casser les vitres. Rien y fait, les robots policiers repoussent la rage au rez-de-chaussé. Même les cadres, bourgeois éduqués aux cols blancs pourront retourner jeter du pain aux canards. Good-by économistes, traiders, conseillers bancaires et d'éducation, good-by professionnels du savoir emmagasiné. Tous pourront remporter leurs recettes de grand-mère, obsolètes, les algorithmes futurs prendront la main, cracheront aux visages anciennement respectés toute l'étendue de leur inutilité.

     

    Le voyez-vous ? Le monde de demain ? Tremblez vous ? La voyez-vous ? La grande ville métallique toute lisse avec ses immeubles à n'en plus finir, ses rues vides, sa perfection si belle, ses hangars secrets, ses chiffres jaunes tournoyants ? Sans hic, les hommes du sommet roulent, glissent de capitaux en capitaux, tête hors de l'eau, seul sur l'île aux cristaux ils feront valser aux hasards des cartes et des roulettes russes leurs valises aux paradis fiscaux. Ils seront peu nombreux les 1%, bientôt les 0,5%, puis 0,1%. Chanceux croyez-vous ? Entrepreneurs dites-vous ? Fous qu'ils sont ! Fous à souhaits, à soûler, à sucrer, à sucer dans leurs tours d’ivoires des bouts de rêves capitalistes, à sucer les machines et les caresser de leurs regards de serpents en s'extasiant de la puissance humaine, fous à gagner en troquent la vie, à mécaniser la nature partout où elle peut être mécaniser, ordonner, fabriquer, nouvelle échelle médiocre, fous à oublier l'absurdité de des rouages et clefs pour faire pousser des pièces !

     

    Et nous autres les 99 ? Nous autres les pauvres ? Que deviendrons-nous face à la révolution 4.0 ? Que ferons-nous quand le travail ne sera plus, quand les financiers bien gorgés érigeront une bonne fois pour toute ce mur entre ville parfaitement fonctionnelle et chaos populaire des bidonvilles cassés ? Que ferons-nous sinon jouer dans les fosses ? Nous mangerons des bouts de racines en se raclant la tête sur notre imbécillité. Nous tomberons dans les ténèbres sectaires et communautaires accusant le voisin de notre perdition. Nous troquerons nos bouts de corps pour un peu d'eau et d'air oxygéné. Nous nous flagellerons et regarderons avec envie les géants sommets gris, scintillant dans le soleil couchant, rouge sang.

     

    Allons utopiste, réveils toi ! Le peuple aura faim. Il faudra prendra bâtons et dynamites, lasers et pierres électriques, fabrication de boom artisanal pour faire sauter les fondements malsains des fous fermés en boîte. Nous escaladerons le système pour mieux le descendre. Flingue sur la tempe pour les traîtres. Reprenons thunes et machines. Reprenons contrôle de ce qui nous revient de droit. Une économie à partager, à distribuer généreusement, liasses de billets par les fenêtres, caisses de lingots lâchés par avion. Le nombre comme une marée surplombera, vague après vague, envahira, recouvrira cette vision robotique et parfaite pour crier liberté. Pour lutter contre la machine, nous ne pourrons nous baser sur notre froide performance. L'essence humaine jaillira face à ces doubles efficaces, champions d'échecs et sportifs hors paire. La voilà, l'âme qui se différencie, c'est cet imaginaire empathique, cette croyance d'invention, cette obsession débile, ce romantisme imparfait, sensibilité des corps et des âmes. Fabriquer encore, à chaque seconde, de nouvelles expériences, de nouvelles jouissances désireuses de s'extraire de nos esprits encore enfermés.

     

    Alors seulement il sera temps. Il faudra se battre pour éduquer la foule, la réveiller à la conscience universelle afin de bâtir société nouvelle, société d'arbres et de fleuves, d'anarchie libératoire. Loin des murs cristallins, nous nous baignerons dans les roses de l'espoir, et commencerons à vivre, surhomme libéré des obligations monétaires. Les machines rouleront la mécanique, cultiveront les champs de leurs articulations métalliques, puiseront l'eau, nettoieront, fabriqueront maisons biologiques et pulsations électriques. Le robot vivant retournera au lavabo. Tirons la chasse, avançons vers l'humain.

     

    Plus à bosser du coup ? Machine partout et homme remplacé ? Pas tout à fait, il restera à créer, inventer, surpasser nos programmes intégrés pour devenir tous, artistes complets.

     


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